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Des jeunes devant l’Histoire

Karl Zimmer enseigne l’histoire dans une classe de 4e à Allonnes. Il nous a soumis, en vue d’une éventuelle insertion dans notre magazine, trois textes rédigés par ses élèves à la suite d’un travail collectif réalisé sur un thème d’histoire locale.
Les faits relatés, tout comme l’effort consenti pour que la narration respecte les critères propres à notre revue, nous ont paru justifier une réponse favorable de notre part, bien que cette pratique soit tout à fait inhabituelle pour La Vie Mancelle.
Ce faisant nous avons voulu saluer et encourager le travail des adolescents et de leur professeur, avec, nous le pensons, l’approbation de nos lecteurs.
Le comité de rédaction.
Voici trois récits d’une histoire populaire du Mans. Les auteurs ? Des élèves de 4e au collège Kennedy à Allonnes. Après avoir décortiqué des archives, ils racontent trois événements méconnus et offrent une approche, à la fois complexe et « par le bas » de la formation du monde ouvrier sous la Monarchie de Juillet (1830-1848). Tous donnent à voir une industrialisation désenchantée.

Ce projet est le fruit d’une complicité pédagogique entre une stagiaire en formation et un enseignant et chercheur(1).

Sous la Monarchie de Juillet, Le Courrier dela Sarthe était un important journal. Dans l’édition du mardi 28 juin 1831, un certain « N. » rapporte un témoignage sur la vie d’ouvriers manceaux. La veille, il a fait irruption dans une guinguette à Pontlieue. Là, une vingtaine d’ouvriers, et sans doute autant de femmes, étaient rassemblés. Première chose étonnante, ils ne travaillaient pas. Peut-être pratiquaient-ils le « Saint-Lundi », coutume consistant à ne pas aller au travail ce jour de la semaine.
Ces hommes se retrouvent d’habitude pour s’enivrer et oublier leurs misérables conditions de vie. Mais pour une fois, ils ne se retrouvent pas seulement pour boire, car « ils oubliaient de vider leurs verres ».
Alors, que font-ils ? Ce jour-là, ils viennent écouter la lecture d’un article de presse, publié le 16 juin 1831, dans La Tribune. Ce journal est réputé pour tenir des discours radicaux contre la politique du roi Louis-Philippe.

le Saint Lundi, gravure populaire
Le sujet du jour : le récit des événements de la révolution de juillet 1830, les fameuses Trois Glorieuses. Ça discute fort. On se dispute même. Finalement, tous débattent. Le plus intéressant dans ce « colloque ouvrier » c’est justement la confrontation des points de vue. Même en Sarthe, les ouvriers ont des opinions politiques et ils les expriment !

Cerrone Roussel-Rabin, Chaineze Manar, Dorian Dilys, Elie Danilo, Léa Communal, Mellina Baghou, Nassim Ammar, Noursat Omar
Que s’est-il passé au Mans en mars 1834 pour que le ministre de l’Intérieur écrive en personne au préfet de la Sarthe ?


Antoine Maurice Appollinaire d'Argout, ministre de l'intérieur

Caricature du ministre d'Argout par Honoré Daumier
C’est grâce à cette lettre, datée du 28 mars 1834, que nous apprenons que son auteur, le comte d’Argout, s’inquiète de la grève des cordonniers du Mans. Bien que les coalitions soient légalement interdites, celle-ci concerne huit ouvriers qui ont abandonné deux ateliers. Le préfet, Rousseau de Saint-Aignan, est encouragé à poursuivre sa démarche auprès des chefs pour éviter le Lock-out. Le pire serait en effet de « renvoyer simultanément tous les ouvriers ». L’ordre public serait alors gravement menacé.
Que nous apprend ce document sur le monde ouvrier manceau ? D’abord, on comprend la dureté des conditions de vie par une unique revendication : l’augmentation des salaires. Il est vrai que la vie ouvrière est difficile, synonyme de pauvreté, voire de misère. Ensuite, cette archive nous donne un autre indice : « Ce qui ajoute à la gravité du fait c’est que ces ouvriers paraissent être entretenus par ceux qui continuent de travailler ». La grande crainte du gouvernement réside dans la solidarité. Peut-être existe-t-il une sorte de caisse de grève ? Ce qui est certain, c’est que l’industrialisation a produit, même au Mans, de nouvelles formes de luttes et d’entraides.

Bjorn Lefoix, Emie Compain, Joris Ouvrard, Noémie Le Maître, Maïlys Moussard, Tyméo Gauglin, Younès Jawad, Zahra Kaouba
Qu’ont fait Pierre Berne et Bernard-Charles Bastide pour se retrouver sur le banc des accusés de la cour d’assises de la Sarthe en début d’année 1840 ?

Le premier, âgé de 42 ans, est poêlier. Le second est un maréchal-ferrant de 28 ans. Ce sont des artisans-ouvriers du Mans. Ils comparaissent avec une trentaine d’autres Manceaux. Eux, sont accusés d’avoir tenté de détruire une mécanique.
Dans la soirée du 16 septembre 1839, ils se sont rendus armés de bâtons au moulin de Bouches l’Huisne (au niveau de la confluence entre l’Huisne et la Sarthe). Berne et Bastide étaient accompagnés d’une foule impressionnante, dont de nombreuses femmes. Ils voulurent entrer dans le moulin, mais rapidement arrivèrent les hussards, des soldats en uniforme casernés à la Mission (actuelle place George-Washington). La tension monta. Les autorités de la commune négocièrent et laissèrent entrer quatre ouvriers qui voulaient vérifier qu’il n’y avait pas de blé caché. À ce moment, six hommes pénétrèrent en force. Parmi eux : Berne et Bastide. Ils firent tourner les machines et commencèrent à y mettre le feu, puis brisèrent les fenêtres. En quelques instants, des sacs de grains furent jetésdans la rivière ainsi que les outillages du moulin. Pourquoi ont-ils fait ça ? Peut-être avons-nous affaire à une tentative de luddisme ? Cette forme de résistance populaire à l’industrialisation consiste à briser les machines. Ces ouvriers comprennent que l’industrialisation est en train de modifier les manières de fabriquer et craignent de voir leur savoir-faire leur échapper au profit de la technologie.

Asma Derouiche, Ayman Mostefa, Célian Dassonville, Julian Chauvel, Lauryne Mekhzem-Delaunay, Pierre Robin

Carte postale de 1900
Après l'impression de la Vie Mancelle et Sarthoise, le rédacteur en chef Jacques-Henry Minier et le rédacteur en chef adjoint Gérard Blanchard sont allés rencontrer les jeunes auteurs.

Deux élèves nous présentent leur travail de recherche puis d'écriture ( pas facile de se plier à la contrainte de 1500 signes pour chaque article !)

Nous distribuons à chacun des 22 élèves le numéro 469 de la VMS, et chacun cherche "son article" (les numéros ont été achetés par le collège)

Jacques-Henry répond aux questions des élèves : comment la VMS a travaillé après la remise de leurs textes, le comité de relecture, la recherche de quelques illustrations complémentaires, la mise en pages etc

Gérard retrace les différentes étapes de fabrication d'un numéro de la VMS depuis le travail des rédacteurs jusqu'à la réception aux abonnés et la mise en vente dans les kiosques en passant par la mise en page, l'impression, le routage... La Principale consigne sur le tableau les différentes étapes et pose un petit signe € en face des intervenants qui sont payés (étonnement : les rédacteurs sont les seuls à ne pas être payés ! Eh oui ! )
Notes :
(1) Léa Grégoire est titulaire d’un Master d’histoire, elle prépare au sein de l’INSPE du Mans, le CAPES pour devenir professeur d’histoire-géographie.
     Karl Zimmer est enseignant d’histoire-géographie, il prépare une thèse d’histoire populaire du Mans sous la Monarchie de Juillet (laboratoire TEMOSCNRS 9016).
(2) Mouvement d’ouvriers anglais détruisant les machines qu’ils rendent responsables du chômage.
Sources :
  • Fureix Emmanuel et Jarrige Emmanuel, La modernité désenchantée. Relire l’histoire du XIXe siècle français, La Découverte, 2020
  • Le Courrier de la Sarthe 28 juin 1831 (Section patrimoine Médiathèque Aragon)
  • Argout (d’) Apollinaire-Antoine-Maurice, Lettre au préfet Rousseau de Saint-Aignan, 28 mars 1834, AD Sarthe
  • Acte d’accusation dans l’affaire dite « des troubles de la Sarthe » (2-16 janvier 1840), AD Maine-et-Loire