Les anges de la cathédrale, prisonniers de la chapelle Notre-Dame-du-Chevet.
©Photo Ville du Mans, Gilles Mousset
Voilà déjà quelque temps que les 47 anges musiciens (1) de la cathédrale Saint-Julien, prisonniers de la voûte de la chapelle Notre-Dame-du-Chevet, dédiée à la Vierge, aspiraient à prendre l’air de la campagne, à s’envoler pour déplier leurs ailes engourdies depuis si longtemps. L’un d’entre eux avait un cousin, lui aussi musicien, résidant dans l’église du hameau des Loges, voisin de la paroisse de Coudrecieux. A l’approche des fêtes de Noël, qu’ils redoutaient de passer une nouvelle fois au Mans, l’ange à l’échiquier de la cathédrale fut chargé par ses collègues de rédiger un message à l’intention du dit cousin :
Fatigués des chanoines du chapitre,
De Monseigneur l’évêque et de sa mitre,
Des chaperons, torches et tintenelles,
Des messes basses ou solennelles,
Des bourgeois et des seigneurs pleins de morgue,
Lassés d’attendre l’arrivée des grandes orgues,
Nous souhaitons, tel un vol de tourterelles,
Vous visiter à Noël en votre chapelle,
Sur la paroisse des Loges, près de Coudrecieux,
Avec la permission de notre Mère aux Cieux.
Une chimère de la cathédrale regarde avec stupeur l’envol des anges.
©Photo Ville du Mans, Gilles Mousset
Une autre chimère, interloquée, et deux pigeons, eux aussi voyageurs, regardent passer les anges.
©Photo Ville du Mans, Gilles Mousset
A la lecture du message, les anges de Saint-Martin des Loges furent très perplexes. Même s’ils étaient eux aussi musiciens, leur notoriété était bien peu de chose. En outre les anges de la cathédrale comptaient deux séraphins (2) dans leurs rangs, alors qu’ils n’avaient qu’un chérubin (2) parmi eux. Et pourquoi avoir choisi leur modeste église, alors qu’il y en avait bien d’autres aux alentours du Mans à pouvoir s’enorgueillir d’abriter des anges musiciens (3) ? Mais le chérubin, justement lui, fit état de son lien de cousinage et mit en garde ses pairs contre le risque de froisser les puissants séraphins. Décision fut donc prise d’accueillir la troupe céleste qui avait, à cette époque, élu domicile dans notre cathédrale, et réponse lui fut adressée par retour :
Cher cousin, chers amis, dignes de tous nos éloges,
C’est avec joie que nous vous recevrons aux Loges,
Pour louer avec nous la naissance du Sauveur
Parmi nos paysans, nos artisans et le seigneur,
Châtelain de la Cour, un beau manoir
Entouré de vergers que vous irez voir.
Ensemble, dans la fumée des cierges,
Nous chanterons la Nativité et la Vierge.
Prenez donc le chemin de Coudrecieux
Avec la bénédiction de notre Père aux Cieux.
C’est ainsi qu’en l’an de grâce 1598, le 24 décembre, à la nuit tombée, les anges nyctalopes s’envolèrent vers Coudrecieux sous l’œil ébahi des chimères de la cathédrale, comme en témoignent les documents que nous avons retrouvés dans les archives célestes. On raconte qu’en l’église des Loges, ils composèrent, lors de la veillée de Noël, la plus belle interprétation du cantique « Les Anges dans nos Campagnes ». Nous en reproduisons un couplet ci-après, pour le plaisir de citer un instrument de l’époque :
Bergers, loin de vos retraites
Unissez-vous à leurs concerts
Et que vos tendres musettes
Fassent retentir dans les airs :
Gloria, in exelcis Deo,
Gloria, in exelcis Deo.
Malheureusement pour eux, les anges de la cathédrale n’avaient nullement obtenu l’autorisation de la Vierge Marie. Celle-ci se montra très contrariée des messes de Noël qui, cette année-là, furent chantées sans aucun accompagnement musical. Pour leur pénitence, les anges furent condamnés à rester prisonniers de la voûte de la chapelle. Pendant quelque temps, ils furent même recouverts d’un enduit pour les dissimuler à la vue des fidèles, avant qu’une âme charitable ne les en délivrât. Quant à ceux de l’église des Loges, ils étaient de bonne foi et furent autorisés à demeurer là où ils se trouvaient si bien. Aujourd’hui encore, nos bons saints, Julien et Martin, sourient de bon cœur à l’évocation des mines furibondes de l’évêque et des chanoines constatant la fugue de leurs anges. Cette histoire est-elle rêverie ou menterie ? Nullement, parole d’ange !
Esquisse extérieure de l’église des Loges,
réalisée par M. Roland Bellamy pour
l’Association « les Amis de l’église des Loges »
L’église romane Saint-Martin des Loges a été construite au début du XIe siècle et possède un clocher caractéristique : le cône qui le surmonte est fait de moellons assemblés au mortier, suivant la technique du couchis (assemblage réalisé sur charpente en bois), cas exceptionnel dans le département.
Surplombant une nef sous charpente, la voûte est recouverte de peintures exécutées sur une fine couche d’enduit à la fin du XVe siècle, représentant un chœur céleste de 13 anges musiciens. Certains tiennent des phylactères sur lesquels sont inscrits, en lettres gothiques, des textes en l’honneur de la Vierge, d’autres accompagnent ces chants avec divers instruments : cornemuse, rebec, luth, tambour, trompette, chalémie.
L’église en l’état actuel. Photo Francis Landier.
Les anges de la voûte. Photo Association « les Amis de l’église des Loges »
Deux autels latéraux sont surmontés de retables en pierre polychrome datant du XVIIIe siècle. Orné d’une double archivolte, le porche s’ouvre sur la façade ouest.
L’église fut fermée en 1792, lorsque François Blin, curé de la paroisse, fut emprisonné pour avoir refusé de prêter serment. Elle servit de grange pendant 154 ans avant d’être rendue au culte en 1948. L’ancienne paroisse des Loges est devenue, en 1790, l’une des communes du canton de Bouloire. Elle a été rattachée à Coudrecieux, en 1808, par décret de Napoléon 1er (5).
Il est possible de visiter l’église en s’adressant aux membres de l’association « Les Amis de l’église des Loges »
(4). Créée en 1998, cette association, aujourd’hui présidée par Mme Bellamy, a conduit et financé plusieurs travaux de restauration. Entre 2009 et 2011, en collaboration avec la municipalité, des artistes et des techniciens Coudrecélestins, elle a contribué à la réalisation de vitraux destinés aux baies des XI
e et XII
e siècles.
L’ensemble, inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques, charme par sa modestie, son originalité et la beauté du site. Saint-Martin-des-Loges compte parmi les plus jolies petites églises de nos villages, pourtant nombreuses dans notre campagne sarthoise.
Façade du manoir avec les fenêtres à meneaux. Photo Francis Landier
Des XVe, XVIe, voire XVIIe siècles, ce manoir d’allure sobre se trouve à proximité de l’église. Il est bâti en calcaire et recouvert de tuiles. A l’époque plusieurs éléments témoignent de ses fonctions défensives et agricoles : un porche avec pont-levis, des douves et des défenses (meurtrières et archères-canonnières), une basse-cour, un four à pain, un pigeonnier, un potager et un verger, et des communs de part et d’autre de la cour. Aujourd’hui subsistent le logis et les dépendances.
La seigneurie de la Cour est attestée lors de son achat par René de la Vove en 1532. En 1634, un projet d’aveu décrit le bâti comme une maison flanquée de pavillons avec six chambres à feu. « La Cour », une dénomination assez courante, signifie « le domaine ». De plus, ce manoir était le lieu où la seigneurie de la Pierre rendait justice. L’ordonnancement actuel de la façade, ornée d’une porte de style Louis XIII avec pilastres, semble plutôt dater du XVIIe siècle, tout comme le premier château de la Pierre(5).
la cour, le moulin à pommes et une partie des communs. Photo Francis Landier
Transformé en ferme, puis mal entretenu, le manoir fut acheté en 2000 par les actuels propriétaires, Jean-Claude et Geneviève Pellemoine, qui s’appliquent à lui rendre vie et beauté initiale. Outre les travaux de restauration du logis et des communs, ils ont entrepris de créer un jardin de plantes médicinales, et de remettre en état le potager et le verger où vieillissent doucement d’admirables noyers. Dans le respect de la tradition agricole de cette ferme fortifiée, ils ont même placé dans la cour un « gadage », ancienne meule à pommes en forme d’auge circulaire utilisée pour la préparation du cidre. Jean-Claude et Geneviève utilisent des méthodes biologiques : ils produisent leur compost, leur huile de noix et leurs confitures. Des ruches permettent à des jeunes de l’IME de Thorigné-sur-Dué de produire leur miel.
Nos sympathiques amis participent à l’animation de la commune en organisant des expositions dans les communs et en ouvrant leur propriété à la visite, à certaines occasions, telles que les journées liées au patrimoine. Ils ont aussi quelques projets d’amélioration pour les années à venir. D’ores et déjà leurs efforts ont été reconnus car le manoir de la Cour est lui aussi inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.
Les propriétaires dans le verger. Photo Francis Landier
Les anges musiciens sont représentés dans nos églises depuis le XIIIe siècle. A cette époque, et bien avant, la musique instrumentale accompagnait les offices dans les églises. Les musiciens, plus ou moins nombreux suivant la richesse de la paroisse, jouaient des instruments médiévaux comme la cornemuse, la harpe, la mandore…Lors du concile de Trente (1545-1563), l’Église, soucieuse d’une meilleure compréhension des textes sacrés, revient à une musique polyphonique plus simple. Plus tard, la musique religieuse connaîtra un nouveau développement avec des compositeurs célèbres, mais les instruments médiévaux auront cédé la place à l’orgue. La cathédrale Saint-Julien compte 47 anges musiciens dont 15 jouent d’un instrument identifié.
Les séraphins constituent l’ordre le plus élevé de la hiérarchie, ils entourent le trône de Dieu et chantent la musique des sphères. Dans la Bible, les chérubins apparaissent comme les plus proches serviteurs de Dieu. Les neufs chœurs angéliques sont les séraphins, les chérubins, les trônes, les dominations, les puissances, les vertus, les principautés, les archanges et les anges. Source : http://anges.free.fr/anges_choeurs.htm
Outre celles de la cathédrale et de l’église des Loges, d’autres représentations d’anges musiciens existent en Sarthe, sur peinture murale ou sur vitrail, notamment à Cherreau, Cormes, La Ferté-Bernard, Théligny, Thoiré-sur-Dinan, Solesmes, Ruillé-sur-Loir, Souvigné-sur-Même, Torcé-en-Vallée, Tresson, Tuffé, Saint-Ulphace, Villaines-la-Carelle, et probablement d’autres. Source : http://amdach72.free.fr
S’adresser à :
- Mme Camus (02 43 35 48 23),
- M. Vanel (02 43 35 54 16)
- Mme Pellemoine (02 43 35 79 37).
association « les Amis de l’église des Loges »,
M. et Mme Pellemoine,
l’édition Pays de la Loire des « Guides Bleus »,
« Le patrimoine des communes de la Sarthe », Flohic Éd.
Nous remercions chaleureusement Maurice Vanel et ses collègues de l’association « les Amis de l’église des Loges », ainsi que Jean-Claude et Geneviève Pellemoine pour la gentillesse de leur accueil, leurs explications et les documents qu’ils nous ont remis.